Mon père s’estimant jardinier (du weekend), nous avait réservé un gros mètre carré chacune pour exprimer tout notre art agricole. Ma sœur et moi soignions consciencieusement donc muguets, tagètes achetées le dimanche sur la Batte de Liège et autres essais de plantation. De mon côté j’avais un intérêt élargi pour l’entretien des sentiers bordés de briques et des coins de pelouse, tondue manuellement à l’anglaise, garnis de rosiers. J’aimais ces implantations géométriques rigoureuses probablement mises en place par mon arrière-grand-père.
Observer les fourmis, grattouiller la terre, sentir l’humus, voir ces petites pousses persévérantes qui allaient parfois devenir des arbres, était vraiment une activité que j’adorais dans ce bon vieux temps où les occupations enfantines disponibles semblent actuellement désuètes. J’en rentrais "neûre come gayète" * constatait ma mère mais complètement détendue.
Ce jardin était mon terrain de jeu, mon plaisir, mon Éden.
On n’y cultivait rien au sol puisque mes grands-parents maternels nous approvisionnaient chaque dimanche de produits bio ( "Le vrai bio des années d’or").
J’aimais grimper dans le cognassier, mon nid-de-pie réservé, puis faire des gelées des coings veloutés avec l’étamine tendue entre deux chaises, tailler arc et flèches dans les noisetiers, et monter sur la butte de débris végétaux presque centenaire pour dire bonjour à mon jeune voisin Carmelo qui se mourrait d’ennui dans l’étroitesse de sa petite cour cernée de hauts murs typiquement urbains.
Autant dire que dès l’acquisition d’une propriété champêtre, dans ma trentaine hyperactive - je ne sais pas comment à cet âge et pour 25 ans encore, on peut faire tant de choses sur une journée - j’ai vaillamment bêché et soigné un petit lopin bien exposé arraché à une pelouse qui accueillait chiens et footballeurs avec une belle résistance.
Mon travail jardinier fut rapidement payant ; radis, salades, carottes, herbes aromatiques, mon objectif primaire, récompensèrent mes efforts somme toute assez mesurés.
Je m’essayai aux tomates avec tuteurs en branches de noisetiers tendues de film plastique translucide, grande réussite quantitative, moyenne gustative, trop d’arrosage sans doute. La collecte abondante mise en cave entre papiers journaux finit malheureusement en compost.
Eh puis, comme j’en parlais dans le susdit billet, mon bel enthousiasme fut progressivement altéré par des destructions massives de gastéropodes affamés malgré toutes les protections et défenses organisées.
Finis persil, salades et cucurbitacées.
Bouffés à chaque tentative désespérée.
Je croyais et disais que j’aimais jardiner, et puis finalement...
Bêcher, retourner, protéger, désherber.
Pour résultat zéro.
Mon dos n’aimait plus non plus.
Abandon.
Sauf que non.
La menthe, la rue, la marjolaine, la ciboulette, le céleri perpétuel et l’ail des ours ainsi que les orties ne me tenant pas rigueur de ma lâcheté, je continuai à avoir un lien ténu avec l’activité d’autant que patates et courges émergeaient spontanément du compost !
Tout proliférait sans aucun effort mais ça ne nourrissait pas sa Bobonne!
Les expériences d’achat à la ferme ayant moyennement convaincu, genre, c’est bio donc c’est pourri en deux jours voire à l’achat, je continuai à m’intéresser et à lire sur le sujet par projection masochiste sans doute !
Voilà qu’il ne faut plus retourner la terre ni arracher les mauvaises herbes, pardon, les adventices, ne plus mettre en lignes mais mélanger ces plantes (ça je savais) dans un joyeux fouillis (ça c’est nouveau) productif émergeant d’un paillis multicouche.
LA permaculture.
Le Graal, la potentialité de la réussite totale du jardinier amateur mais volontaire.
Tous leurs aficionados l’ont bien compris et les plus entreprenants en profitent pour te donner moult conseils gratuits basiques pour mieux vendre leurs stages hors de prix.
Et ça m’énerve !
Au secours du troisième âge, baby-boom aidant, les potagers sur table et autres carrés surélevés sont désormais pléthore dans tous les bricos sauvant de l’immobilité aggravante les dos accablés d’arthrose ou de hernies discales.
Pas certaine que ces produits bon marché durent des années.
Dans un ultime effort pour pratiquer une culture de proximité Bobonne a eu l’idée de recycler les "tines" ** de sa jeunesse (regardez-les comme une relique de sainte Bobonne qui y fut baignée sur la table en Formica de sa grand-mère devant Luc Beyer***).
Dans un baroud d’honneur, Néo Bobonne a carrément acheté des graines sur papier dans un magasin dont on ne peut pas dire le nom comme celui du méchant dans Harry Potter.
Terreau de pépinière par contre, un peu de compost maison qui, paraît-il, n’est pas si bon car transmet les pesticides des produits non bio que Bobonne n’hésite pas à acheter, et le miracle fut !
Alors que sa moitié se vautrait lamentablement dans la plantation de papiers-semences de fleurs, aucun escargot ou limace n’ayant eu le courage d’escalader trois mètres de façade, Bobonne pouvait fièrement le narguer avec ses bassines prolifiques !
De la bassine de compost, destinée aux repiquage d’estragon, piments et autres achetés pour cuisiner, a de plus surgi une cucurbitacée volontaire qui agrémente joliment la pierre calcaire.
C’est tellement beau que jusqu’à la brune, un verre de vin à la main, je regarde pousser les salades !
Sans oser les manger !
* Noire comme un morceau de charbon, wallon. ** Une tine étant, dans la région liégeoise en tout cas, une bassine en zinc, souvent utilisée pour la lessive. *** Attention, ici pas de harcèlement sexuel ni de voyeurisme pédophile, il s'agit de Luc Beyer de Ryke journaliste qui a présenté le JT pendant 18 ans, entre 1961 et 1979 !
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