Semaine S-17 : La mer

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

mer.jpgJ’ai rencontré la mer que je ne marchais pas encore et il paraît que mes premiers mots furent "pieds-pieds, l’eau-l’eau", oui, j’ai parlé très tôt ceci expliquant certainement ma tendance récurrente à parler sans concision !

La veille du départ à la côte, c’était le branle-bas, il ne fallait pas me demander deux fois de préparer les jeux de plage.
Je dévalais prestement les escaliers de la cave où étaient rangés tous ces trésors sentant encore la marée.

La pelle, instrument majeur de mon esprit constructif, les seaux qui transporteraient l’eau nécessaire à la stabilité, un râteau et quelques formes pour la décoration composaient la base essentielle à des heures de plaisir dans le sable, sans oublier les billes, les restes de papier crépon, les tiges et fils de fer pour créer le plus beau des magasins de fleurs.
Pour les joies aquatiques, le masque à tuba incorporé, le petit canoë "Fina", et le filet à crevettes étaient incontournables.
Pour le sport, le jokari, les raquettes Donnay en bois et les patins à roulettes complétaient l’équipement.

On était paré.

Ma mère faisait les valises, deux pour elle, une pour mon père et une pour ma sœur et moi, un maillot, deux shorts, quelques "blouses" et des "slashes" (tongs en belge) suffisaient à mon bonheur.

Mon père lavait la voiture et préparait la carte, car avant la finalisation de "l’autoroute de la mer"*, s’y rendre était quand même une petite expédition surtout jusqu’à Bruxelles, où l’apparition de la Basilique de Koekelberg faisait monter d’un cran notre excitation ayant compris au fil des ans qu’on approchait du paradis. Le plat pays avec ses rangées d’arbres bordant les canaux, les toits pentus de tuiles rouges et une odeur que je trouvais déjà saline achevaient de saper ma patience.

Puis ça y était, on remontait enfin la Lippenslaan, qui semblait interminable, dont l’extrémité précédée de son délicieux parfum iodé s’ouvrait enfin sur la digue et ses pavés jaunes aux stries géométriques.
Las ! Il fallait encore "s’installer", se changer, avant de pouvoir courir, fouler le sable et ... mettre les pieds dans l’eau !

C’était parti pour ériger de somptueux châteaux traversés de tunnels audacieux où on entendait la mer et qu’une bille pouvait parcourir à toute vitesse sans le moindre arrêt, recommençant chaque jour, avec l’opiniâtreté de Pénélope retissant sa toile, la construction que la mer ou des pieds indélicats avaient démolie la nuit.
Les brise-lames, microcosme marin, permettaient des observations infinies et une pêche plus ou moins productive, une moule au bout d’une ficelle, de crabes qui rejoignaient dans le seau, à leur plus grande joie de courte durée, les crevettes capturées au filet. Si ces proies, rapidement à moitié asphyxiées, finissaient au mieux par un retour au milieu aquatique pour certainement trépasser, les étoiles de mer avaient moins de chance, trophée attendu, on les faisait généralement sécher dans une longue agonie sur un appui de fenêtre avant qu’elles ne terminent quelques mois plus tard en morceaux au fond d’un tiroir qui en gardait l’arôme marine pour longtemps!

Côté nautique, peu importait la température de l’eau dépassant rarement les 20°, l’attrait des vagues était le plus fort et de toutes façons à la troisième lame on était quand même mouillés ! Alors que je ne savais pas nager et étais laissée sans surveillance, que n’ai-je pas été enroulée un peu trop violemment par les flots, le sable se glissant dans le maillot et la tasse saumâtre inévitablement bue ! Qu’importe, la joie de se laisser porter par cette houle parfois gigantesque était top excitante. Une fois l’effort suffisant et frôlant l’hypothermie, tremblante, je remontais vaillamment le chemin de bois vers la serviette salvatrice, un petit coup de brosse à poils de coco aux grains agglutinés sur les chevilles et je repartais pour de nouvelles aventures plus terrestres.

Une autre activité que j’attendais avec impatience était le "Festival van de kust"** dont l’agenda de passage était dûment renseigné dans chaque station balnéaire, largement sponsorisé, c’était le théâtre de compétitions côtières essentiellement physiques souvent dotées de lots attractifs.
Si ma sœur détestait ça, j’en étais particulièrement friande et avais une double motivation qui était de battre les garçons de mon âge, ce qui arrivait régulièrement et me valut un de mes plus beaux prix, un abonnement d’un an au journal "Tintin" que mon père eut la gentillesse de renouveler des années durant, également intéressé qu’il était par le héros de son enfance ! jeux-mer.jpg

Mes séjours à la mer prirent inéluctablement une tournure plus adolescente, d’activités sportives débridées à marée basse avec mes cousins souvent en vacances au même endroit, nous passâmes, en l’inexistence de jeux en ligne, à de conviviales journées quasi complètes à nous perfectionner au whist et à la belote au fin fond d’une salle à manger sombre et au grand dam de nos parents qui voulaient qu’on prenne l’air, au prix où ça leur coûtait ! En guise de réseaux sociaux, il y avait le King ou la Barque à Jack, premiers dancings que je pus fréquenter une fois atteint l’âge canonique de 18 ans (vérifié à l’entrée, on ne badinait pas avec la loi à l’époque), étant donné que je suis née en octobre, l’année 1975 fut une torture.
Se "dévouant" pour que je puisse accompagner ma conquête, ma mère me chaperonna à l’occasion et se fit draguer par un jeunot sous mes yeux ébahis, ça me fit un drôle d’effet !

Encore plus tard, en archi, un jour où le désir studieux nous lâcha complètement, nous partîmes, Isa et moi, en plein hiver pour une journée "Chiche, on va à la mer ?" Et là, je La vis déserte et magnifique. Mais en plein hiver, (presque) rien n’est ouvert. Nous dûmes notre salut à la prévoyance de mon père qui m’avait offert une American Express à utiliser en cas d’urgence. Il n’y avait qu’un restaurant ouvert l’acceptant, chic évidemment, avec vue sur mer ...

Bref, que de bons souvenirs !

Qu’elle soit du nord ou du sud, la mer me fascine et l’âge aidant, je peux rester deux heures à simplement la contempler sans ennui, un petit verre siroté lentement à la main quand même.

Mais.

Renaud nous a chanté que c’est la mer qui prend l’homme et que les poissons pissent dedans.

Oui, les poissons pissent dans la mer mais ingurgitent des tonnes de plastique, c’est de bonne guerre malheureusement ils ne sortent pas vainqueurs du prédateur humain. Heureusement quelques tentatives tâchent de contrer le nouveau continent artificiel fait de détritus dans son extension***, même certains pays plus fragiles commencent à lutter**** mais que font les autres ?

Mais surtout, la mer, méditerranée particulièrement, cruelle, capture en son sein des milliers de cadavres.

Des migrants.

Oui, la mer prend l’homme qu’on lui donne.

Et on lui en donne trop.

Bobonne ronronnait mais pas tout à fait ...

* Carrément un site consacré à l'histoire des routes belges, on trouve tout sur le net ! 
** Le festival de la côte semble vraiment être très différent et beaucoup plus culturel mais c'est bien aussi !
*** Continent de plastiques
**** La lutte contre les sacs en plastique en Afrique 

Cette semaine, est mise à l’honneur une néo-sexa-co-rhétoricienne et thérapeute alternative, Anne-Chantal M. à qui la zénitude que la mer apporte doit parler, ainsi qu’à l’actrice belge Grace De Capitani.

La discussion continue ailleurs

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